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27140 Gisors : Sources

270001 Gisors et son canton ( Eure ) Statistiques. Histoire ( Pages 206 à 237 )
Gisors

Adossé à une haute colline qui, autrefois, était couverte de forêts, ayant à ses pieds trois rivières, et en face de lui le Mont Ouin, Gisors annonce, par sa position même, être un établissement d'origine celtique.

Gisors était dans le principe, suivant quelques auteurs, une bourgade gauloise ; son nom viendrait des deux mots gui schawrtz, qui signifient forêt de gui. Effectivement, à l'époque gauloise, Gisors était au centre d'une vaste forêt1. De Gui Schawrtz on aura fait d'abord Gischawrtz, et les Romains, lors de la conquête, ajoutant, suivant leur coutume, une terminaison latine aux noms propres, auront dit Gisouartium, et puis Gisortium.

Quelques écrivains lui donnent pour fondateur le conquérant des Gaules lui-même, Jules César, et ils tirent de là l'étymologie de son nom ; suivant eux, le vainqueur de Vercingétorix aurait campé sur une colline voisine, appelée Mont de l'Aigle, et l'endroit où aurait été établie sa tente aurait été dénommé Cœsaris otium, dont on aurait fait, par la suite, Cœsortium, et enfin Gisortium2.

Ces mêmes écrivains ajoutent, pour justifier leur opinion, que dans les camps romains, il y avait toujours une rue qui portait le nom de Principia. On la nommait ainsi, parce qu'elle commençait le camp ; c'en était en quelque sorte la tête ; et que c'est de là aussi que vient le nom de la rue Cappeville, caput urbis.

Certaines personnes tirent Gisors de gistum, gîte et croient qu'il y avait une hôtellerie, un refuge quelconque pour les voyageurs à l'endroit où se trouve notre cité.

D'autres prétendent que son nom est une corruption de divortium, séparation, limite, parce que Gisors se trouvait à l'extrémité de la Normandie et séparait cette province de la France.

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Enfin, il en est aussi qui le font dériver de, gi, gîte, et sor, courant d'eau ; nous donnons toutes les étymologies qui ont été attribuées à notre ville, tout en pensant que la dernière seule doit être la vraie.

Gisors, du temps des Romains, était une ville de la seconde Lyonnaise; l'Itinéraire d'Antonin en parle en ces termes : Cœsarotium, urbs gelliœ Lugdunensis secundœ inter Rothomagum et Petromantalum ; c'est le plus ancien patrimoine de l'église de Rouen, il fut donné au septième siècle, par le roi Clotaire II, à son cousin saint Romain, archevêque de cette ville3.

Louis IV d'Outremer ayant consenti, par le traité de Saint-Clair-sur-Epte, de 946, à ce que les frontières des Normands fussent reculées jusqu'à 1'Epte, Gisors fut démembré du domaine royal et, après avoir été la capitale de tout le Vexin, resta la capitale de la partie qui devint normande.

En 968, un certain nombre de seigneurs normands, ayant à leur tête Hugues, archevêque de Rouen et leur duc Richard, et Hugues Capet, accompagné de seigneurs Français, se réunirent à Gisors, y tinrent un plaid, pour régler les différends qui s'étaient élevés entre les habitants des deux pays, et terminer une difficulté qui existait entre Richard-sans-Peur et l'abbaye de Saint-Denis, à l'occasion de la terre de Berneval, « communi Francorum Normannorum Gisortis placito. »

Henri Ier, roi de France, voulant récompenser Robert le Diable, duc de Normandie, qui l'avait soutenu contre son frère cadet, lui céda, en 1032, les villes de Gisors, Chaumont, Pontoise et tout le Vexin4.

Les comtes du Vexin peuvent être regardés comme les premiers seigneurs de Gisors ; leur domination dura environ quatre siècles, leur race s'éteignit vers la fin du onzième siècle, en la personne de Gautier IV. Leurs armes étaient six fleurs de lys d'or, ainsi espacées : trois, deux et une, sur champ de gueules.

Ils avaient l'honneur de porter la célèbre oriflamme de Saint-Denis, lorsque le roi s'en faisait précéder.

Le premier seigneur de Gisors, dont l'histoire fasse mention, est un sieur Geoffroy de Montmorency, que l'on croit fils de Bouchard III ; son fils ainé, Roger, eut un fils qui entra à l'abbaye de Saint-Martin de Pontoise, et trois filles : l'une d'elles, nommée Mathilde, épousa Hugues de Chaumont auquel elle apporta en dot, du consentement de l'archevêque de Rouen, plusieurs fiefs sis à Gisors, entre autres l'église du prieuré de Saint-Ouen et l'église de Saint-Gervais et Saint-Protais.

Le second fils de Geoffroy de Montmorency, Thibaut, surnommé Paganus, payen5, hérita lors de la mort de son père, arrivée vers 1075, de la seigneurie de Gisors, il commença à fortifier cette ville qui prit alors un grand développement et acquit en peu de temps une importance, telle qu'elle aurait pu soutenir avantageusement la comparaison avec les plus grandes villes de l'époque.

Lorsque Guillaume le Roux, se fut, à la mort de son père, emparé de la couronne d'Angleterre et de la Normandie, au préjudice de son frère ainé, Robert, il demanda au roi de France la restitution du Vexin français qui avait été cédé à Robert le Diable ; et sans attendre la réponse du roi, il s'empara des châteaux de la Roche-Guyon, Mantes et Vetheuil, et enfin, il enleva Gisors à Thibaut Payen. Maître alors du cours de la Seine, il comprit qu'il était nécessaire de défendre la route des plateaux, de Pontoise à Rouen, par Gisors, et de couvrir la frontière de Normandie ; il chargea de ce soin Robert de Bellesme, comte du Perche, qui s'adjoignit l'architecte Leufroy.

Cet habile homme de guerre pensa que Gisors, se trouvant sur un promontoire, entouré par l'Epte et faisant tête à la France, était le point véritable à défendre ; il fit construire la forteresse dont les ruines imposantes font aujourd'hui l'admiration des étrangers et enceignit la ville de murailles, vers l'année 1096.

Ordéric Vital, en parlant de cette construction, s'exprime ainsi :

« Tunc Guillelmus, rex, firmissimum castrum Gisortis construi prœcepit, quod usque hodie, contra Calvimontem et Triam atque Burriz oppositwn, Normanniam concludit : cujus positionem et fabricam ingeniosus artiflex, Robertus Belesmensis, disposuit quadam die dum Normanni super Francos irruerent, etc. »

Thibaut-Payen joua un rôle assez peu honorable dans les guerres des rois de France et d'Angleterre : il trahit tour à tour Philippe Ier et Guillaume le Roux ; ce dernier finit par lui ôter, en 1097, le commandement de Gisors, pour le donner à Robert de Candos.

En 1100, Thibaut-Payen, sa femme Mathilde et quatre de leurs enfants, confirmèrent une donation faite antérieurement par Hubert Bucellus à l'abbaye de Saint-Martin de Pontoise, et ils ajoutèrent à cette libéralité la donation de deux moulins à tan, situés, l'un à Gisors, l'autre à Bézu-le-Long.

L'année suivante, après la mort de Guillaume, Robert Courte Heuse, duc de Normandie, vint à Gisors et logea dans la maison de Thibaut-Payen. Celui-ci lui fit une réception magnifique et le prince flatté lui rendit le gouvernement de Gisors et de Neaufles dont Guillaume l'avait dépouillé, lors de la construction du château : « Munitionem de Gisortis Theobaldo Pagano, quia semel cum hospitatus fuerat, tribuit. ( Ordéric Vital ).

En 1105, eut lieu, dans la cathédrale de Rouen, en présence d'une nombreuse assemblée, une cérémonie très-singulière.

Raoul, fils de Walbert de Boury, voulant se faire décharger de l'excommunication dont son père et lui avaient été frappés, pour s'être emparés des terres de Gisors, appartenant au chapitre de la cathédrale de Rouen, confessa publiquement sa faute, et déposa sur l'autel un couteau, en signe de restitution ; l'archevêque releva aussitôt Raoul de Boury et son père de l'excommunication qui avait été prononcée contre eux.

A quelque temps de là, cette restitution fut complétée dans l'église de Vesly, où Robert de Boury, en présence et du consentement de sa famille, remit un bâton entre les mains du prélat, comme témoignage de sa dépossession. Au nombre des témoins de l'acte qui en fut dressé figurent : Payen de Courcelles, Jean de Boury, Payen de Neaufles6, Osmont de Chaumont, etc.

Dans un traité de 1106, Henri Ier et Philippe Ier rendirent le commandement de la forteresse à Thibaut-Payen, sous la condition formelle qu'il garderait la neutralité la plus absolue, à l'égard de tous deux.

En 1108, Henri, sentant toute l'importance qu'avait, pour la protection des frontières de son duché de Normandie, le château de Gisors, résolut de s'en emparer, il se mit à la tête de son armée et arriva aux portes de la ville, demandant à Thibaut-Payen de les lui ouvrir ; celui-ci refusa d'abord, mais le monarque anglais, employant tour à tour les promesses et les menaces, finit par le décider à trahir ses serments.

Aussitôt qu'il en fut le maître, son premier acte fut d'enlever à Thibaut son commandement militaire, en ne lui laissant que le gouvernement civil de la ville.

Une fois rentré dans la possession de Gisors, Henri mit tous ses soins à rendre le château inexpugnable ; il l'entoura de ces hautes et vastes murailles flanquées de tours qui semblent défier les outrages du temps : « Fecil quoddam castellum Gisortis, in confino Normanniœ et Franciœ quod frater ejus Henricus primus, qui ei successit, mœnibus ambitum et turribus excelsis inexpugnabile reddidit. ( Robert du Mont ). »

Louis le Gros, après la mort de son père, voyant avec peine la citadelle de Gisors entre les mains de Henri Ier, lui en demanda la restitution, et sur son refus, il embrassa la cause de Cliton, fils de Robert ; avant d'en venir aux mains, une conférence fut indiquée en un lieu appelé les Planches de Neaufles, pendant le carême de 1109, mais les deux monarques ne purent s'entendre, et Louis le Gros finit par proposer au roi d'Angleterre de terminer le différend par un combat singulier.

Henri refusa le défi, auquel il ne répondit que par des railleries ; les Français, furieux, traversent sur un pont en bois la rivière qui les sépare de leurs ennemis, se précipitent sur eux et les mettent en déroute.

La guerre se trouva donc allumée de nouveau et se continua avec des chances diverses, jusqu'en 1117, époque à laquelle Foulque, comte d'Anjou, qui venait de marier sa fille à Guillaume, fils de Henri, roi d'Angleterre, parvint à négocier un traite entre les deux monarques. Henri abandonna Gisors, à son fils sous la condition d'hommage au roi de France.

L'année suivante, Henri Ier eut à Gisors une entrevue avec le pape Calixte II, qui était venu le solliciter de rendre au fils de Robert Courte Heuse le duché de Normandie dont il l'avait dépouillé ; le roi Henri prétendit n'avoir agi que dans l'intérêt de la religion, et plaida si bien sa cause, que le pape lui confirma toutes les coutumes que son frère Guillaume avait établies, tant en Angleterre qu'en Normandie.

Guillaume, fils de Henri Ier, ayant péri, en 1120, dans le naufrage de la Blanche-Nef, Louis le Gros demanda de nouveau la restitution de Gisors qui avait été cédé à ce jeune et infortuné prince, sous la condition d'hommage, par le traité de 1117. Le refus de Henri fut la cause d'une nouvelle guerre. Le roi de France entra dans la Normandie et s'empara de plusieurs places fortes ; à cette nouvelle, son adversaire quitte Londres en toute hâte, arrive à Rouen, rassemble son armée et marche au devant des Français qu'il rencontre dans les pleines de Brenneville, le 20 août 1120. Après un combat des plus acharnés, les Français furent complètement battus et le roi même faillit être fait prisonnier ; un chevalier avait déjà mis la main sur la bride de son cheval en criant : « Le roi est pris ! » Mais Louis, brandissant sa masse d'arme lui brisa la tête, en disant : « On ne prend jamais le roi aux échecs. »

Au nombre des prisonniers faits par les Anglais se trouvait Hervé de Gisors, fils de Thibaut-Payen ; son frère cadet, Hugues, qui s'était attaché à Henri Ier, et avait combattu sous sa bannière le fit mettre en liberté.

Les seigneurs des deux Vexins français et normand, désirant rentrer sous la domination de leur souverain légitime, le roi de France, se réunirent au couvent de la Croix-Saint-Leufroy et formèrent une ligue contre Henri Ier. Thibaut-Payen qui était un des chefs, complota avec plusieurs autres seigneurs de s'emparer de Gisors ; le jour de l'exécution fut fixé à un lundi, à cause du marché, mais la précipitation du seigneur Baudry de Bray qui devança l'heure, fit échouer leur projet, en donnant l'éveil à Robert de Candos qui commandait la citadelle et qui mit le feu à la ville pour se débarrasser de ses ennemis, et pour ne pas laisser tomber entre leurs mains le château confié à sa garde.

Henri, après avoir battu les conjurés à Bourgtheroude, se rendit à Gisors, fit saisir tous les biens des conspirateurs, confisqua les terres et seigneuries de Thibaut de Gisors et d'Hervé, son fils aîné, pour les donner, du consentement de l'archevêque de Rouen, à Hugues de Gisors, frère d'Hervé, qui lui était toujours resté fidèle.

Thibaut-Payen, chassé de Normandie, fatigué des agitations du monde, se retira dans le couvent de Saint-Martin de Pontoise, où il prit l'habit religieux ; il mourut à un âge fort avancé, en 1130, et fut inhumé auprès de Mathilde, sa femme, qui l'avait précédé dans la tombe.

En 1137, après la mort de Henri Ier, son fils, Henri II, voulant reconnaître les services que Louis le Jeune, roi de France, lui avait rendus en l'aidant à reconquérir la Normandie sur Étienne, son compétiteur, lui donna le comté du Vexin.

Hugues de Gisors, le fidèle serviteur de Henri Ier, mourut vers 1142 et fut inhumé auprès de ses parents, dans l'abbaye de Pontoise, à laquelle il avait donné les droits de mouture de ses moulins de Gisors et de Bézu-le-Long. Il eut pour successeur son fils Thibaut II, qui se maria deux fois et n'eut point d'enfants. Ce seigneur fit des dons nombreux à l'abbaye de Saint-Martin, lieu de prédilection de sa famille ; il y fut lui-même inhumé en 1191.

Son neveu Jean, qui, dès 1155, l'avait remplacé dans le gouvernement de la ville de Gisors, recueillit sa succession.

Louis le Jeune, ayant fiancé sa fille Marguerite, âgée de trois ans, avec le fils de Henri Il, roi d'Angleterre, âgé de sept ans, lui assigna pour dot le comté du Vexin et Gisors ; mais, en attendant que le mariage pût être accompli, la place fut mise en séquestre entre les mains des Templiers. Henri Il obtint une dispense du pape, fit célébrer le mariage à l'insu du roi de France, mit la main sur la dot de Marguerite et se fit livrer Gisors par les Templiers qui ne craignirent pas de fouler aux pieds leurs serments7.

A la suite de la trahison des Templiers, qui eut lieu en 1164, Jean de Gisors, qui était resté fidèle au roi de France, fut dépouillé de l'autorité civile qu'il exerçait ; mais cependant, il n'en continua pas moins à resider dans la ville, où il possédait plusieurs fiefs.

Au moment où Henri Il se faisait livrer Gisors par trahison, le château était composé de deux enceintes et d'un donjon placé au milieu de la seconde. La première, d'une très-grande circonférence, pouvait contenir des troupes nombreuses ; elle renfermait les habitations, elle avait deux galeries couvertes et était flanquée de plusieurs tours rondes et carrées ; deux portes, protégées par des tours et des ponts levis, y donnaient accès. La seconde enceinte, bâtie sur un tertre élevé dominait la première et n'avait qu'une seule porte bien défendue ; le donjon protégeait le tout8.

La ville était resserrée entre le château, les murs qui longent le Banneton, l'Epte, et défendue par une muraille épaisse flanquée de tours, s'étendant vers le pont Doré, d'où elle remontait derrière l'ancien grenier à sel, à la porte de Neaufles, et un dernier mur qui joignait cette porte au château.

La ville avait une seconde enceinte, se raccordant à la première, et dont les portes ; protégées par des herses et des ponts-levis, étaient aux ponts actuels de la rue Cappeville et de la rue de Paris, et, comme la première enceinte, elle était entourée par la rivière.

Henri le Jeune, voulant se soustraire à l'autorité tyrannique de son père, Henri II, se réfugia, vers 1774, à la cour du roi de France, son beau-père, qui prit les armes en sa faveur.

Avant d'en venir à une bataille, une conférence eut lieu à Gisors, en 1177, entre les rois de France et d'Angleterre, et les fils de ce dernier, pour terminer le différend qui s'était élevé entre le père et les enfants. Louis le Jeune présenta au roi d'Angleterre un pain d'une main et une pierre de l'autre, c'est-à-dire la paix ou la guerre. Henri II n'accepta ni l'un ni l'autre et l'assemblée se sépara sans avoir pu s'entendre.

Adveniente mativitate beatœ Mariœ venerunt ad colloquium apud Gisortium et non protuit inter eos convenire. » ( Benoît de Petersbourg ).

Il y eut force combats singuliers entre les seigneurs des deux pays, mais Louis le Jeune n'osa pas engager le combat et se retira avec son armée.

Quelque temps après, les deux rois firent une trève de six mois, et, lorsqu'elle fut expirée, Louis le Jeune, Henri son gendre et le comte de Flandre vinrent mettre le siége devant Rouen. Le vieil Henri se hâta de revenir à son secours ; « il fut alors fait une autre trève et pris jour audit Gisors pour faire la paix, sans toutefois aucun effet9. »

Au moyen âge, Gisors a été le témoin de la plupart des entrevues qui ont eu lieu entre les rois de France et d'Angleterre ; le rendez-vous avait habituellement lieu sous un orme fort ancien et d'une grosseur prodigieuse qui s'élevait entre Gisors et Trie, sur la limite des deux frontières et qui avait été revêtu d'une espèce d'armure ou cuirasse de fer, et qu'à cause de cela, on appelait l'ormeteau ferré.

A la mort de Louis le Jeune, son fils Philippe-Auguste, étant encore mineur, des contestations s'élevèrent, au sujet de la régence, entre la reine douairière et le comte de Flandres qui avait été désigné comme régent. Les parties ayant choisi comme arbitre le roi d'Angleterre, on se réunit, en 1180, à Gisors, où les difficultés furent applanies.

Trois ans après, le fils de Henri II, qui avait épousé la jeune Marguerite de France, mourut sans enfant ; Philippe-Auguste s'empressa de réclamer le douaire de sa sœur avec le Vexin et les châteaux qui lui avaient été constitués en dot. Henri II alla le trouver au lieu ordinaire des rendez-vous, entre Gisors et Trie, et convint de payer tous les ans à madame Marguerite, pour tous ses droits, 2,750 livres, monnaie d'Anjou, payables à Paris ( pro calumnia dotis suœ et Gisortil ).

Henri II s'engagea en outre à donner Gisor à son fils Richard, comte de Poitiers, qui devait épouser Alix, sœur du roi de France.

Après les fêtes de Noël de l'année 1185, les deux rois se réunirent encore sous l'orme de Gisors, et Philippe se plaignit de ce que le mariage de sa sœur, qui était en âge de puberté, n'eût pas encore été célébré ; mais le roi d'Angleterre, qui n'avait pu voir Alix sans en devenir amoureux, demanda et obtint une nouvelle remise ; il espérait, dit-on, la mort de sa femme, Eléonore, pour épouser Alix à la place de son fils.

Philippe-Auguste, n'ayant pu rentrer en possession de Gisors, résolut d'élever, dans le voisinage, une forteresse capable de contre-balancer sa puissance ; il donna donc des ordres, en 1186, pour qu'on en élevât une, non loin de l'orme des conférences, dans un endroit appelé Val-Corbin, appartenant à Richard de Vals, qui était toujours resté fidèle à la bannière du roi de France. Le gouverneur de Gisors, qui était à ce moment un seigneur Henri de Ver, successeur de Robert Candos, l'ayant appris, se rendit sur le terrain avec ses éperviers, comme le dit un historien du temps ; il somma Richard de Vals de démolir les constructions qu'il venait de faire. Sur son refus, il l'attaqua, tua même un de ses enfants, et dispersa tous ses gens ; puis se trouvant maître du champ de bataille, il fit abattre la nouvelle forteresse. Ce fut le sujet d'une guerre acharnée que les rois de France et d'Angleterre se firent pendant deux ans ; à la fin, les deux parties, fatiguées, épuisées, finirent par faire une trêve.

Vers cette époque, Jérusalem était tombée entre les mains des Sarrazins ; le pape envoya des légats dans toute la chrétienté prêcher la croisade. Ils arrivèrent en France, au moment où la guerre allait recommencer. A la nouvelle des malheurs qui venaient de frapper la ville sainte, les deux rois oublièrent leurs dissentiments et se rendirent à une conférence qui leur fut signée par les légats, sous l'ormeteau ferré de Gisors, c'est-à-dire sur la frontière des deux royaumes, au mois de février 1188.

A la voix éloquente de Guillaume de Tyr, les deux rois, Richard, fils de Henri II, et une foule de seigneurs des deux nations prirent la croix. C'est de ce jour que datent les armoiries de Gisors. Elles sont de gueules à la croix engrelée d'or, surmontée de trois fleurs de lys au chef azuré10.

Malgré les serments d'amitié qui avaient été échangés, les hostilités recommencèrent bientôt. Philippe-Auguste, provoqué par les agressions des Anglais, s'empara du Berry, de l'Auvergne, et poursuivit Henri II et son fils Richard jusqu'en Normandie.

Le monarque anglais fit encore demander à Philippe une conférence sous l'orme de Gisors. On fit une trève de trois jours, pour arrêter les bases de la paix ; elle allait être signée quand une raillerie, à propos de l'orme, sous lequel les soldats anglais étaient à l'abri des rayons du soleil, tandis que les Français étaient exposés à toute son ardeur, vint interrompre les négociations.

Les Français, furieux d'être plaisantés, se précipitèrent sur leurs ennemis, les mirent en déroute et les poursuivirent, l'épée dans les reins, jusqu'à Vernon ; puis ils revinrent auprès de l'orme, cause innocente du combat, et, malgré la cuirasse de fer dont il était revêtu, ils le déracinèrent et le réduisirent en cendres11.

On ne songea à parler de paix que quand, de part et d'autre, on se fut livré à de nombreux actes de pillage, de meurtre et d'incendie.

Philippe offrit à Henri de lui rendre toutes les places dont il s'était emparé, sous la seule condition que le mariage de sa sœur avec Richard ne serait pas davantage différé ; Richard, de son côté, demandait à conclure ce mariage et à être associé au trône.

Une entrevue eut lieu entre les deux monarques, mais il leur fut impossible de s'entendre ; Richard, ayant entendu dire que son père avait l'intention d'instituer son frère pruné, Jean, pour son successeur à la couronne d'Angleterre, fut vivement froissé et se réfugia à la cour du roi de France, auquel il fit hommage des domaines que la maison des Plantagenet, tenait de la couronne, puis il invoqua son appui, pour se faire maintenir dans la possession du droit dont il craignait d'être privé.

Henri, alarmé, prit le parti de céder à la mauvaise fortune et de demander à Philippe une nouvelle entrevue, qui eut lieu entre Gisors et Trie.

Le roi d'Angleterre commença par renouveler au roi de France son hommage, pour tous les Etats qu'il possédait dans son royaume, puis on traita l'article mariage : Philippe voulait qu'il se fit avant tout, mais Henri, rival de son fils, ne pouvait se décider à perdre une princesse qu'il adorait, et il finit par obtenir que le mariage n'aurait lieu qu'au retour de la Terre-Sainte.

Cette paix était à peine signée, qu'Henri II mourut subitement à Chinon, le 5 juillet 1189. Trois jours après la mort de son père, Richard Cœur-de-Lion s'aboucha avec le roi de France pour la confirmation de la paix et prendre les dernières dispositions pour la croisade, à laquelle ils s'étaient engagés dix-huit mois auparavant.

Les deux rois s'embarquèrent, l'un à Gênes, l'autre à Marseille, et ils se retrouvèrent en Sicile, où la mésintelligence ne tarda pas à se mettre entre eux, à l'occasion d'une réclamation faite par Richard à Tancrède, roi de Naples. Mais ce qui acheva de les brouiller fut l'aveu, fait par Richard à Philippe, de son mariage avec Bérengère, fille du roi de Navarre, au mépris de ses engagements avec Alice de France.

Philippe réclama hautement la dot de sa sœur, qui était restée entre les mains de Richard, mais celui-ci refusa de la rendre et proposa, comme indemnité, de payer une somme de dix mille marcs d'argent. Ce ne fut que sur les instances d'un vénérable solitaire, nommé Joachim, que le roi de France se décida à accepter cette proposition.

Voici la traduction du traité fait à cet occasion12.

Au nom de la sainte Trinité, Philippe, par la grâce de Dieu, roi des Français, faisons savoir que la paix vient d'être conclue entre entre ami Richard, illustre roi d'Angleterre, et nous.

Nous lui permettons de bon cœur de prendre l'épouse qu'il voudra, malgré les conventions que nous avons faites qui l'obligeaient, à épouser Alice, notre sœur.

Nous lui abandonnons, ainsi qu'à ses héritiers mâles, Gisors, le château Neuf ( Château-sur- Epte ) et le Vexin ; mais s'il meurt sans enfants mâles, tous ces domaines feront retour au duché de Normandie ; et si le roi d'Angleterre laisse plusieurs enfants mâles, nous voulons que l'aîné tienne de nous tout ce qu'il possédera et devienne notre vassal, tant pour le duché de Normandie que pour l'Anjou, le Maine, l'Aquitaine et le Poitou.

Et pour toutes ces concessions, le roi Richard d'Angleterre nous a promis dix mille marcs d'argent, du poids de Trèves, lesquels il nous paiera, savoir : trois mille le jour de la fête de tous les saints de cette années et le reste aux mêmes époques de celles suivantes jusqu'à parfait paiement.

Le roi Richard est aussi convenu de remettre en liberté, un mois après son retour en Angleterre des lieux saints, sans aucun empêchement, notre bien-aimée sœur Alice, que nous soyons mort ou vivant.

Afin que toutes ces conditions soient fermes et stables à toujours, nous les avons, chacun en ce qui nous concerne, revêtues et confirmées de notre sceau. »

Fait à Messine, avant la fête de Pâques de l'année 1190.

Après un cours séjour en Palestine, qui n'avait fait qu'envenimer la brouille des deux rois, Philippe revint en France, en 1192 ; il s'empressa de profiter de l'absence de son rival, pour reprendre la dot de sa sœur Alice. Il vint mettre le siége devant Gisors ; le gouverneur séduit par ses promesses, lui ouvrit les portes de la forteresse que le roi d'Angleterre lui avait confiée et qui, de ce moment, ne devait plus sortir des mains de Philippe.

Un historien anglais raconte ainsi cet événement :

« Cependant le roi de France entra avec main-forte en Normandie et assiégea Gisors. Or Gilbert de Vascueil avait en sa garde le château de Gisors et celui de Neaufles. Il les livra tous deux au roi de France et se fit son adhérent ; mais il fut regardé comme vil, à cause de a trahison qu'il avait faite à son seigneur, le roi d'Angleterre, qui l'avait envoyé de Messine, avec sa pleine faveur, en Normandie, pour garder lesdits châteaux. »

Richard quitta l'Orient, peu de mois après, et voulut traverser l'Allemagne pour rentrer dans ses états ; mais il fut reconnu malgré le déguisement qu'il avait emprunté, arrêté et livré à son ennemi, l'empereur Henri IV, qui le fit enfermer dans une tour et le retint prisonnier.

La reine Éléonore ayant appris la captivité de son fils Richard, s'empressa de le faire mettre en liberté, moyennant une forte rançon.

A peine arrivé en Angleterre, Richard passa en Normandie et fit tous ses efforts pour reprendre Gisors, mais son courage se brisa contre les solides murailles de la citadelle et il fut forcé de se retirer. Il alla au-devant de Philippe jusqu'à Blois, le surprit et lui fit essuyer une défaite complète.

Les monarques eurent ensuite une conférence à Issoudun, où ils arrêtèrent le projet d'un traité qui fut signé un mois après, à Gaillon.

Richard, qui n'avait pu reprendre la forteresse de Gisors qu'il aimait plus que toutes les autres, dit Gilbert de Mons, « castrum Gisortis quod prœ cœteris affectabat », se vit forcé d'en faire l'abandon à son rival ; la charte qui le constate est ainsi conçue :

« Ricardus, dei gratia, rex Angliœ, Dux Normaniœ, nosse vos volumus quod sunt hœc conventiones pacis, inter nos et dominum nostrum Philippum, illustrem regem Franciœ, factœ in vigilia sancti Nicolai, inter Exoldemus et Charolium, videlicet quod eidem et hœredibus suis, jure hœreditatis, in perpetuum dimittimus et quitemus Gisortium. »

Richard abandonna également à Philippe Neaufles, Vernon et tout le Vexin normand ; mais sentant toute l'importance du sacrifice qu'il venait de faire et voulant protéger ses frontières de Normandie qui se trouvaient à découvert depuis la prise du château de Gisors, il fit construire le château Gaillard, à un kilomètre d'Andely, au mépris des stipulations du traité dont nous venons de parler, qui portaient qu'Andely, qui appartenait à l'archevêque de Rouen, ne pourrait être fortifié.

Ce fut la cause d'une nouvelle guerre entre les deux rois ; Philippe fut battu au mois de septembre 1198, entre Vernon et Gamaches, et fut forcé de se réfugier à Mantes ; Richard, victorieux, enleva successivement Courcelles qu'il pilla et brûla, Boury et Serifontaine qui furent aussi fort maltraités.

Le roi de France se hâta d'assembler toutes les forces dont il put disposer, pour marcher au secours de Courcelles dont il ignorait la destruction. Richard prévenu, s'embusqua entre Courcelles et Vaux pour s'emparer de sa personne.

Philippe s'aperçut assez tôt de l'embuscade pour pouvoir l'éviter, en retournant sur ses pas. Menestrier de Mauvoisin, vieux chevalier qui avait blanchi sous le harnais lui conseillait de battre en retraite. « Fuir devant un vassal, jamais, » dit le roi. A ces mots, il s'élance, à la tête de ses chevaliers, sur les escadrons anglais, les enfonce, et gagne Gisors. En arrivant au pont de cette ville, les Français, serrés de près par leurs ennemis qui les poursuivent, se pressent, se poussent pour entrer plus vite ; le pont, trop chargé, se rompit, et le roi, avec un grand nombre des siens, tomba dans l'Epte.

Le trouble et la confusion étaient si grands, que Philippe faillit se noyer ; il fut à grande peine, à cause du poids de son armure, retiré de l'eau et de la vase par les pieds. « Itaque rex Franciœ cecidit in aquam et vix per pedes extractus pœne suffocatus est. » ( Roger de Hoveden. )

Les chevaliers et les soldats qui étaient restés en deçà du pont, voulant protéger la retraite du roi, retournèrent vigoureusement au combat et furent presque tous tués ou faits prisonniers ; mais, grâce à leur dévouement, Philippe put reprendre ses sens et se mettre à l'abri derrière les murs du château.

« Et eschappa d'eus toz par l'aide notre Seigneur, et se reçut au chastel de Gisors. » ( Chroniques de Saint-Denis. )

Au moment du danger le plus pressant, Philippe, ayant aperçu une statue de la sainte Vierge sur la porte de la ville, se recommanda à elle en faisant un vœu, et ce fut pour l'accomplir qu'il fit réparer le pont, revêtir la statue d'une robe de drap d'or, et, enfin, qu'il fonda, en action de grâces, dans l'Hôtel-Dieu de Gisors, une chapelle dédiée à Notre-Dame de Pitié.

A un an de là, Richard tombait sous l'arbalète d'un soldat inconnu, au siége du château de Chalus.

Richard n'ayant pas d'enfants, son frère Jean, dit Sans Terre, lui succéda et prit de suite possession de la Normandie, et comme il n'était pas homme à reprendre ce que son prédécesseur avait été forcé de laisser dans les mains de Philippe, renouvela, en l'année 1200, l'acte d'abandon de Gisors et du Vexin normand ; les deux Etats furent limités par des bornes plantées entre Evreux et le Neubourg.

Au milieu des guerres des rois de France et d'Angleterre, les seigneurs de Gisors s'effacent complètement, pour reparaître en 1200, quand la paix commence à s'affermir.

Cette année-là, Jean, seigneur de Gisors, donna à Philippe-Auguste le dénombrement des fiefs qu'il tenait de lui ; ceux du Vexin normand étaient : Bézu-le-Long, Saint-Paër, Bernouville, Saint-Eloi, Neaufles, Tierceville et le Mesnil-Guilbert.

Le domaine de Gisors, abandonné par Jean Sans-Terre à la couronne de France, fut attribué par saint Louis à Blanche d'Evreux, veuve de Philippe de Valois.

Blanche de Castille habita, pendant son veuvage, tour à tour le château de Gisors et celui de Neaufles ; saint Louis vint plusieurs fois à Gisors la visiter et s'inspirer de ses conseils ; il enrichit l'hôpital que son grand-père avait comblé de bienfaits, et ce fut lui qui créa, en 1235, le grand bailliage de Gisors.

Nous sommes arrivés à l'apogée de la gloire de notre cité ; Gisors n'a rien à envier aux plus grandes villes ; elle possède un des sept grands bailliages de Normandie ; malgré les guerres continuelles des rois de France et d'Angleterre, son commerce, son industrie, se sont développés à l'abri de ses murailles ; sa population a considérablement augmenté : elle s'élève à près de 4 000 habitants ; la tannerie existe depuis un temps immémorial, puisque nous voyons, en 1100, Thibaud Payen donner, à l'abbaye de Saint-Martin de Pontoise, deux moulins à tan, situés, l'un à Gisors et l'autre à Bézu-le-Long ; la draperie n'est pas moins ancienne ; sa forteresse est la clef de la Normandie, et les machines de guerre sont impuissantes à entamer sa rude cuirasse de pierres. Mais le moment approche où la découverte d'un moine allemand va révolutionner l'art de la guerre ; à partir de ce jour, Gisors va tomber au rang de petite ville, et sa forteresse, qui a été le boulevard du Vexin, ne pourra pas résister à la force destructive de la poudre à canon.

Jusqu'ici, nous avons cru devoir nous étendre un peu longuement sur l'histoire de notre ville, parce que c'est son époque la plus glorieuse ; mais, à partir de ce moment, son rôle militaire étant à peu près achevé, elle va rentrer dans le calme, et nous n'aurons plus qu'à passer rapidement en revue les événements dont elle a été le théâtre.

Jean de Gisors, ses enfants et descendants, conservèrent leur seigneurie jusqu'au commencement du quatorzième siècle.

Les armes de Guillaume de Gisors, dernier descendant mâle de cette branche des Montmorency, étaient d'argent à la croix de gueules, avec un cœur d'or au milieu.

Sa fille Jeanne épousa, en 1306, Henri de Ferrières, auquel elle apporta en dot la seigneurie de Gisors ; la famille de Ferrières la posséda jusqu'en 1451, époque à laquelle Jean de Ferrières en fit hommage au cardinal Georges d'Amboise, archevêque de Rouen.

Gisors était, de temps immémorial, en franc bourg et franc alleu ; on y comptait un certain nombre de fiefs, entre autres ceux de la Grange-Cercelle, de l'Isle et de Cantiers. Les habitants de Gisors furent confirmés dans le privilége de franc bourgage et de franc alleu, par arrêt du Conseil du roi, le 11 août 1664.

En 1586 lors de la réformation de la coutume de Normandie le lieutenant général de Gisors dressa un procès verbal des bornes et de l'étendue de la paroisse de Gisors ; Il nous a paru assez intéressant pour que nous le mettions sous les yeux de nos lecteurs :

« L'assemblée fut faite par M. Achille Frontin, lieutenant de M. le bailli de Gisors, les 4, 5 et jours suivants du mois de juin 1586. Y furent appelés : frère pierre Neveu, docteur en théologie, curé de Gisors ; maître Nicolas Robillard, prieur de Saint-Ouen de Gisors ; maître Nicolas, cardinal de Peltevé, archevêque de Sens, en qualité de seigneur du fief de l'Isle sis dans Gisors ; Mme la duchesse de Longueville, baronne d'Etrépagny ; Mme Magdelaine de Savoie, veuve de M. Anne de Montmorency, connestable de France, dame de Dangu ; M. le marquis de Rothelin, seigneur de Neaufles ; Henri de Ponts, seigneur du fief de Cantiers, assis à Gisors; Messire Charles du Plessis, seigueur du fief de la Grange Cercelle ; Jean Sublet, sieur de Noyers ; Michel Sublet, escuyer, seigneur d'Heudicourt, et autres dénommés au dit procès verbal ; ont dit que la ville et faubourgs de Gisors et banlieue d'iceluy ont de tout temps esté et sont en franc alleu et franc bourg par coustume locale de tout temps observée. Dans la dite ville et faubourgs sont les fiefs de la Grange, de l'Isle, du prieuré de Saint-Ouen et de Cantiers, dont quelques uns des habitants sont vassaux à cause des héritages qu'ils tiennent des dits fiefs de leur domaine. Neanmoins, les dits seigneurs n'ont point de reliefs, ventes et treizièmes, quelque mutation ou vendue qui advienne des héritages de leurs vassaux, ni droit d'amende faute de rente non payée aux jours qu'ils sont deus, et à cause de franc bourg ne sont tenus qu'à bailler simples déclarations de leurs héritages tenus des dits fiefs et des rentes qui en sont dus, s'il n'y a titre ou convenant particulier ou contraire, lequel bourgage s'estend d'un costé vers Trie-Chasteau jusqu'à un petit pont de pierre étant au dessus du moulin de l'Aunette, et vers Eragni jusqu'au pâtis au Moinne et de Saint-Ouen de Gisors, et de là en montant et passant au travers du chemin d'Eragni et de Flavacourt pour gagner le chemin qui conduit d'Eragni à Trie, la route du chemin le long de la Folie aux Coings, et du costé des faubourgs de Paris jusqu'au chemin de Neaufles, en allant gagner le chemin des Belles Femmes, assis sur le chemin de Paris, tout joignant l'ancien chemin du Boisgiloup, et de là croisser du chemin de Gisors à Bouris, et du chemin qui va de Chaumont à Courcelles, et de là, passant par dedans Vaux, aller au bois de Vaux, et traverser vers le bas des prés du Découpeur, et de là gagner la rivière d'Epte, et du costé des Arguillères jusqu'au dimage de Basincourt et sur les faubourgs de la porte de Neauffle jusqu'au dimage de Neaufle.

Les héritages assis en franc bourg de Gisors et de Neaufles se partagent également entre frères et sœurs, au cas qu'elles soient admises au partage, et quand aux fiefs et terres nobles, la cousturne généralle est observée.

En la ville et viconté de Gisors, par la coustume locale de tout temps observée, les vassaux sont libres et francs de servir... Le sieur du fief de l'Isle dit avoir droit de présenter aux escholes. Messieurs le chapitre, doyen et chanoines de Rouen en sont acquisiteurs des héritiers ou par décret du dit fief, appartenant au feu cardinal de Pellevé. Il est à remarquer que la paroisse de Gisors, en un sens, est de plus longue étendue que le franc bourg et la banlieue de Gisors, et d'austre costé le franc bourg et banlieue excèdent les bornes de la paroisse ; par exemple le Bois-giloup est de la paroisse et non du franc bourg ; Neaufle est du franc bourg et non de la paroisse. »

En 1753, Marie-Josèphe de Saxe, épouse du Dauphin de France, s'arrêta à Gisors en allant prendre les eaux de Forges.

François Ier érigea le domaine de Gisors, en comté, en l'année 1528, en faveur de Renée de France, duchesse de Férare, sa cousine, fille de Louis XII ; après elle, il passa à François de France, duc d'Alençon, auquel Charles IX l'enleva, pour le restituer à la famille de Férare, qui le conserva jusqu'en 1660.

En 1672, un fils de Louis XIV et de Mme de Montespan, Louis-César, porta le titre de comte du Vexin ; il prit l'habit religieux et mourut, en 1683, abbé de Saint-Germain des Prés.

Louis XIV réunit, en 1710, les seigneuries de Gisors, Andelys et Vernon, sous le titre de vicomté et en forma l'apanage de Charles de France, duc de Berry, son petit-fils.

Quelques années après, par contrat passé devant les notaires du Châtelet de Paris, le roi qui était rentré en la possession de la vicomté de Gisors, après la mort de son petit-fils, la céda en échange à Charles-Louis-Auguste Fouquet, contre le comté de Belle-Isle en Mer.

Sur la demande de Fouquet, le comté de Gisors fut érigé en duché, en l'année 1742.

Louis-Marie Fouquet de Belle-Isle, connu sous le nom de comte de Gisors, fut tué, en 1751, à la bataille de Crevelt, à la tête de son régiment. Voici ce qu'il écrivait à son père, le duc de Gisors, au moment de mourir :

« Je suis expirant, mon cher papa, ne pleurez pas ma mort ; j'ai repoussé trois fois l'ennemi, avec le corps que j'avais l'honneur de commander. Ah ! si je pouvais vous embrasser encore... »

La mort ne lui permit pas d'achever sa phrase. En lui s'éteignit la postérité du surintendant Fouquet.

Peu de temps après, le duc de Gisors mourut de chagrin, léguant tous ses biens au roi, qui érigea le duché de Gisors en prarie, et le donna à Louis-Jean-Marie de Bourbon, duc de Penthièvre, qui le possédait encore, lorsque la Révolution vint à éclater.

Les halles couvertes qui existent dans l'enceinte du château ont été construites par ce prince, en 1783.

Sous les différents seigneurs qui s'étaient succédé, depuis 1306, Gisors avait eu à subir bien des vicissitudes.

Edouard III, roi d'Angleterre, furieux de ne pouvoir s'emparer de la forteresse, avait brûlé la ville, en 1345.

Charles le Mauvais, comte d'Evreux, avait ensuite, à différentes reprises, porté le pillage et l'incendie dans le Vexin, mais n'avait même pas cherché à prendre Gisors.

En 1378, du Guesclin avait expulsé les Anglais, de nos pays, et leur avait rendu un peu de tranquillité.

Après la désastrueuse journée d'Azincourt, en 1419, les Anglais, commandés par le duc de Clarence, frère du roi d'Angleterre, avaient commencé d'abord par s'emparer de Rouen et de Pontoise, puis étaient venu mettre le siége devant Gisors ; au bout de peu de temps, le gouverneur, Lionel de Bournonville, manquant de vivres, s'était vu forcé de se rendre, sous la seule condition que lui et les siens auraient la vie sauve.

La Hire, en 1436, avait cherché à reprendre Gisors, mais ses efforts avaient été vains, il s'était retiré sans avoir même pu tenter un assaut.

En 1449, Charles VII, après s'être emparé de Dangu, était venu mettre le siége devant Gisors. Le gouverneur qui était un sieur Richard Mirbury, cédant aux sollicitations de sa femme, avait livré la forteresse au roi de France, « moyennant la délivrance de Hémeric et Jean, ses enfants, pris au Pont-Audemer, et le don que le roi lui fit des émoluments et profits de la capitainerie de Saint-Germain en Laye. » ( Histoire d'Angleterre ).

Sous le règne de Louis XI, pendant la guerre dite du Bien public, Gisors avait été pris, en 1465, par le duc de Calabre et repris par les troupes royales, au mois de septembre de la même année.

Pendant la Ligue, Gisors avait ouvert ses portes au duc de Mayenne dont les soldats pillèrent tous les pays voisins et brûlèrent plusieurs villages.

En 1589, Henri IV avait voulu surprendre la forteresse, mais la bonne contenance de la garnison l'avait forcé à se retirer ; deux ans après, le duc de Sully s'en empara et mit fin à son existence militaire.

Louis XIV, âgé de neuf ans, vint à Gisors, avec Anne d'Autriche, sa mère, régente du royaume, au mois d'août 1647.13

Voici d'après un manuscrit que nous avons entre les mains et que nous copions textuellement le menu du dîner qui leur fut offert par la ville :

Deux potage un de canars au navais et l'autre de vollaille farcie de 10 l. » s. un codinde de » 50 une longe de veau à la marinade » 50 une grande tourte de capon de » 55 une poitrinne de veau an ragous de » 45 une salade de » 5 deux lapereaus de » 45 deux pairdrix et deux becase de 7 » deux chapons de 3 » une tourte de lard de » 30 deux tourte de confiture de » 30 deux gateaus failletez de » 25

Lors des guerres de la Fronde, Philippe de Fouilleuse, marquis de Flavacourt qui était gouverneur de Gisors, livra la citadelle aux troupes du duc de Longueville.

En 1753, Marie-Joséphine de Saxe, épouse du dauphin de France, s'arrêta à Gisors en allant prendre les eaux de Forges.

Gisors fut ensanglanté, en 1792, par l'assassinat du duc de Larochefoucauld, mais aucun des habitants ne souilla ses mains dans le sang de cet homme de bien ; l'administration municipale montra dans cette circonstance la plus grande fermeté et fit tous ses efforts, pour arrêter le bras des assassins, envoyés, dit-on, par la commune de Paris.

Grâce à l'énergie, à l'habilité et à la modération de M. Vinot14, maire, et du conseil communal, et grâce aussi au bon esprit dont les habitants étaient animés, Gisors n'eut pas de grands excès à déplorer, pendant les mauvais jours de 1793.

Napoléon Bonaparte, étant premier consul, vint visiter Gisors et la fabrique de coton de M. Morris, au mois d'octobre 1802.

Le prince de Condé y vint chasser, en 1819 ; deux ans après, M. le duc, Mme la duchesse d'Orléans, Mme Adélaïde et le duc de Chartres vinrent passer une journée à Gisors.

Le premier août 1825, la duchesse de Berry se rendant aux bains de mer de Dieppe, s'arrêta à Gisors, dont elle visita les monuments ; elle alla le même jour visiter le château de Saint-Paër, où elle fut reçue par le vicomte d'Arlincourt, qui donna à cette occasion une fête splendide.

Le 17 juin 1828, la duchesse d'Angoulême, allant à Forges, y fit aussi une halte.

Enfin, le roi Louis- Philippe et sa famille passèrent à Gisors, le 29 août 1841.

Cette ville a été le théâtre, le 13 juillet 1851, d'une très-belle cérémonie, de l'inauguration d'une statue érigée au général Baron de Blanmont, qui y est né.

Gisors était autrefois un doyenné de l'archidiaconé du Vexin normand, du diocèse de Rouen ; il comprenait quarante-cinq paroisses, trois chapelles et six prieurés. L'église, dédiée à saint Gervais et à saint-Protais, est une des plus anciennes de la Normandie.

En 1066, Hugues de Chaumont, qui possédait du chef de sa femme les domaines de Gisors, Neaufles., etc, pour partie, donna l'église de Saint-Ouen de Gisors et ses dépendances à l'abbaye de Marmoutiers, pour y établir un prieuré ; l'année suivante, il donna l'église paroissiale.

Hugues de Chaumont ne tenait ces biens que comme vassal de l'archevêque de Rouen, car ils avaient été cédés à l'église métropolitaine de cette ville pour lui servir de douaire, Gisortium virginis douarium, c'était plutôt une reconnaissance de la propriété de l'archevêque qu'une donation proprement dite.

Lorsque Guillaume le Roux chargea Robert de Belesme de fortifier Gisors, l'ancienne église gênant l'exécution des plans arrêtés par cet ingénieur, elle fut démolie et reconstruite par lui, en 1101, sur l'emplacement de l'église actuelle ; elle fut consacrée au mois de novembre 1119, par Godefroy, archevêque de Rouen, en présence du pape Calixte II ; elle fut incendiée, en 1224, lors de la ligue des seigneurs du Vexin contre Henri II, roi d'Angleterre, quand Thibaud-Payen et d'autres conjurés voulurent surprendre la forteresse et que Robert Caudos mit le feu à la ville, pour les forcer à se retirer. Ce fut la reine Blanche de Castille, mère de saint Louis, qui commença à relever cet édifice, c'est à elle que l'on doit le chœur et les collatéraux ; la dédicace en fut faite le 12 mai 1249, par Eudes Rigaud, archevêque de Rouen. La nef, les chapelles et les tours ont été sucessivement construites par la piété et la libéralité des corporations, des seigneurs et même des particuliers, dans le cours des quatorzième, quinzième et seizième siècles.

Les différentes parties de l'église ont été bénites au fur et à mesure de leur achèvement, en 1532, par Jean de la Massonnaye, évêque d'Hippone; en 1555-1561, par Etienne Pâris, évêque d'Aulonne, 1584 ; par Jean Lesly, évêque de Ross, en Écosse ; le cimetière qui avait été établi entre l'eglise et les murs de la ville avait été béni, en 1496, par Henri Potin, évêque de Philadelphie, suffragant de l'archevêque de Rouen.

L'église a la forme d'une croix latine ; la tour qui est carrée à la base, devient octogone au tiers de sa hauteur, et se continue ainsi jusqu'au sommet.

Le portail de l'ouest offre un singulier mélange des styles grec et gothique, « un exemple déplorables de la confusion des styles, » dit M. Léon de Laborde. Nous n'avons certes pas la prétention de critiquer ce qu'a écrit ce savant, nous trouvons cependant qu'il a été trop sévère et que la confusion, ou plutôt l'alliance dont il parle, est loin d'être dénuée de charme.

Le portail nord qui, malheureusement, est masqué et comme écrasé par les maisons voisines, date de la meilleure époque de la Renaissance, les pierres sont découpées comme de la dentelle, ciselées comme des objets d'orfèvrerie ; les portes sont parfaitement conservées et sont enrichies de très-belles sculptures ; les guirlandes qui les entourent, et dans lesquelles on remarque des salamandres, en indiquent suffisamment l'époque. Ce portail, dit Mollien, « est un chef-d'œuvre et un des derniers ouvrages de ce genre. »

Le côté sud est très-remarquable, le petit portail est également orné de fort belles sculptures, qui ont été en grande partie mutilées en 1793.

L'intérieur est orné de vingt-deux chapelles, dans lesquelles on admire plusieurs morceaux de sculptures, entre autres, un squelette attribué à tort au ciseau de Jean Goujon ; quelques peintures sur toile et sur bois, un arbre de Jessé, sculpté, et enfin de très-beaux vitraux, parmi lesquels brille le vitrail de la chapelle de saint Crépin ; c'est une charmante peinture, dans le ton, dans la composition et dans le style des peintres verriers de Rouen, de la première moitié du seizième siècle.

L'église possédait autrefois un grand nombre de reliques qui sont aujourd'hui dispersées ; bien peu ont échappé aux profanations de 1793. Elles avaient été données par Guy de Châtillon, comte de Saint-Pol, du temps de la reine Blanche de Castille.

La tradition et certains écrivains s'accordent à dire que saint Yves, qui devint évêque de Chartres en 1092, fut un des pasteurs de notre Église ; parmi ses successeurs les plus remarquables, l'on compte Antoine Lemercier, qui fut ensuite aumônier du roi Louis XII ; Pierre Neveu qui, après l'abjuration de Henri IV, fit fermer les portes de l'église à ce prince qui était revenu à Gisors15.

Le roi, désirant entrer dans l'église, dit au curé : « Faites-moi faire tout ce qui est nécessaire pour contenter Dieu et le peuple. » Mettez-vous à genoux, sire, dit Pierre Neveu, et adorez adorez la croix de Notre-Seigneur. » Ce que le roi fit avec tant de dévotion, qu'il tira des larmes de toute l'assistance.

Alors les portes de l'église s'ouvrirent, aux cris mille fois répétés de : Vive le roi !

Henri IV y entra en s'écriant gaîment : « Ventre-saint-gris ! me voilà donc roi de Gisors ! »

Un des curés dont la mémoire est le plus vénérée, est Robert Deniaud, qui montra tant de dévouement et de charité lors de la peste qui éclata à Gisors, en 1632, et qui dura deux ans16.

C'était l'abbé de Marmoutiers qui présentait à la cure.

Le prieuré de Saint-Ouen fut fondé au onzième siècle, par Hugues de Chaumont, seigneur de Gisors et de Neaufles ; le Registrum visitationum de l'année 1249, le désigne sous le nom de Sanctus Audœnus de Gisorto. C'était un plein fief de haubert, relevant de l'abbaye de Marmoutiers. Ce monastère possédait un bois sur le territoire de Trie, tenu de la redevance suivante : « Le prieur, monté sur un cheval blanc, devait, les jours de Pâques et de Noël de chaque année, apporter au seigneur de Trie, en la salle du réfectoire, et ce, en plein dîner, dix rissolles de farine blanche, pétries aux œufs, garnies de fromage, deux pintes de bon vin, mesure de Trie, et deux pains blancs. »

Les noms des prieurs les plus célèbres sont :

Michel Fourmont, dont la famille habite encore Gisors ; Antoine Lemercier, qui vivait au commencement du seizième siècle, qui fit, au moment de l'hiver rigoureux de 1523, de si grandes aumônes, qu'à sa mort tous les pauvres de la ville assistèrent à ses funérailles ; les deux frères Jacques et Jean Viole ; Philibert Robillard, qui reçut les Etats généraux de la province de Normandie dans l'église de son prieuré, au mois de décembre 1637 ; Louis-François Vassé, conseiller secrétaire du roi, chanoine de Notre-Dame de Paris, qui abandonna le prieuré de Saint-Ouen de Gisors aux Jésuites de Rouen, sur leur promesse d'en faire un établissement pour l'instruction gratuite de la jeunesse.

Après l'abolition de l'ordre des Jésuites, qui n'exécutèrent pas les promesses faites à Louis-François Vassé, le prieuré dont nous parlons fut converti en ferme, donné au collége de la ville de Rouen et vendu au moment de la Révolution.

Il existait dans le donjon du château une chapelle qui fut dédiée à saint Thomas de Cantorbéry, après que le pape Alexandie III l'eut canonisé en 1173. Le seigneur de Gisors en avait la collation.

Jean de Gisors fonda au douzième siècle, sur le chemin d'Etrépagny, une léproserie dédiée à saint Lazare ; elle fut placée sous la dépendance du grand aumônier de France qui y nommait encore en 1604, et qui, le 20 août de la même année, la donna, ainsi que l'Hôtel-Dieu de Gisors et la maladrerie de Sainte-Marguerite de Gamaches, à la demoiselle Marie de Montsors, avec la permission d'y établir des religieuses Trinitaires ; mais Robert Deniaud, le lieutenant général, les conseillers au baillage de Gisors et la municipalité protestèrent très-vivement, et, le 16 septembre 1660, les lettres de provisions de Marie de Montsors furent supprimées et les choses rétablies dans leur état primitif ; seulement la maladrerie resta réunie à l'Hôtel-Dieu.

Il existait autrefois à Gisors trente et une confréries ; la plus ancienne est celle de Notre-Dame de l'Assomption, qui existait avant 134017 et qui fut richement dotée par Charles V. Lorsqu'elle cessa d'exister, ses biens furent affectés à l'entretien du collége de Gisors. La chapelle qui leur était affectée était appelée du Trépassement, à cause de l'inscription suivante qui s'y trouvait :

Bonnes gens qui par cy passez, Priez Dieu pour les trépassés ; Tels que vous êtes fûmes-nous. Tels que nous sommes serez tous.

En 1470, une confrérie fut fondée sous le patronage de saint Gervais et saint Protais ; celle des saints Crépin et Crépinien date de la même époque.

Une autre confrérie fut établie, en 1477, sous le nom de saint Antoine. Les confréries de Saint- Fiacre et de Saint-Claire datent de 1514. Enfin les autres furent établies successivement ; mais aujourd'hui elles ont presque toutes disparu.

Au moment où éclata la révolution de 1789, Gisors possédait deux couvents d'hommes de l'ordre des Mathurins et des Récollets, qui, tous deux, avaient été fondés au commencement du dix-septième siècle, et qui avaient été installés, les Mathurins dans un hermitage construit par un habitant de Gisors, nommé Nicolas Huet, qui avait fait élever à côté une chapelle dédiée à Notre-Dame de Liesse, et les Récollets dans un monastère placé sous le patronage de saint Joseph, qui avait été édifié par Marguerite d'Orléans, duchesse de Longueville, comtesse de Gisors18.

Notre ville renfermait également trois couvents de femmes.

Les Ursulines, dont la fondation est due à Marguerite Robert, veuve de Jean Aubert, qui obtint des lettres-patentes d'approbation en 1616 ;

Les Annonciades, venues à Gisors, le 7 avril 1621, sur l'invitation des sœurs hospitalières de Sainte-Elisabeth, qui adoptèrent leur règle ;

Et enfin, les Carmélites, qui furent établies par François Sublet, seigneur de Noyers, à la sollicitation d'un sieur de Saint-Crépin, habitant de Gisors, dont la fille voulait se consacrer à Dieu.

L'église des Carmélites, convertie en salle de spectacle, a conservé à l'extérieur son architecture assez riche, dans le style du dix-septième siècle ; le reste des bâtiments est affecté aux services de la mairie, de la justice de paix, de la gendarmerie, de la prison, de l'école communale et d'une pension de jeunes gens.

Une partie du couvent des Annonciades existe encore et a été appropriée pour une pension de jeunes filles, tenue par des religieuses de la Providence d'Evreux.

Quant au couvent des Ursulines, il n'en reste plus de traces ; il a été démoli et, sur une partie de son emplacement, l'administration municipale a fait élever l'hospice actuel.

En 1790, lors de la division de la France en départements, les habitants de Gisors firent de nombreuses démarches pour obtenir que leur ville fût le chef-lieu d'un département qui aurait porté le nom des Deux-Vexins. Mais on dut bientôt renoncer à cette idée, et même à l'espoir de voir Gisors chef-lieu de district.

Aujourd'hui, Gisors est un simple chef-lieu de canton du département de l'Eure, doyenné du diocèse d'Evreux, du ressort de la cour impériale de Rouen, de la deuxième division militaire et de l'Académie de Caen.

Le territoire, d'une forme très-irrégulière, s'avance comme un promontoire dans le canton de Chaumont ; il est entouré, des autres côtés, par les communes de Neaufles, Bézu-Saint-Eloi, Saint-Paër et Bazincourt ; il est sillonné de vallées peu profondes et arrosé par l'Epte, la Troëne et le Réveillon ; des routes nombreuses et parfaitement entretenues mettent les habitants en communication avec Paris, Rouen, Evreux, Dieppe, Beauvais, Andelys et tous les pays voisins.

Gisors est situé sur le penchant d'une colline, dans une position délicieuse, ayant trois rivières à ses pieds ; la ville proprement dite n'a que deux rues principales, qui, par leur réunion, forment un T assez régulier ; depuis quelques années, un nouveau quartier s'est formé et de nouvelles rues ont été percées dans le quartier de l'Hôtel-de-Ville.

Ses dépendances sont le Bois-Gelou, Vaux, les. Mathurins, le mont de l'Aigle et Moiscourt.

Le Boisgeloup ( Boscus gclidus ), que l'on a écrit Boisgillout, appartenait, en 1220, à Philippe de la Vallée ou de Vaux. Arnulphe du Bois et Guillaume, son frère, déclarèrent tenir du roi Philippe- Auguste, et en arrière-fief du seigneur Jean de Gisors, la terre de Boisgeloup, composée de la plaine, des bois et du château.

En 1290, Gautier de Boisgeloup était gouverneur de Neaufles. La famille de Gamaches posséda le Boisgeloup de 1313 à 1523 ; les Montmorency-Doudeville, de 1529 à 1661. Cette terre fut ensuite tenue par les familles des Foucault, des Allan, des Brulard, des Rouelles, des Lebas de Giranguy19.

Ce village faisait autrefois partie du baillage de Chaumont, de la coutume de Senlis ; sa chapelle, dédiée à la sainte Vierge, était, en 1676, d'après les registres de l'archevêché de Rouen, une succursale de l'église de Gisors. Il y avait une étude de notaire, qui fut successivement transférée à Bouzy et à Chauinont. Vaux, qui n'est plus aujourd'hui qu'une ferme, était jadis une seigneurie distincte, ressortissant du baillage et de l'élection de Chaumont. Son église, succursale de Gisors, était placée sous le vocable de saint Laurent. La cure était à la collation alternative de l'archevêque de Rouen et du seigneur.

L'Hôtel-Dieu de Gisors avait un droit de foire dans les pâturages de Vaux, le jour de saint Laurent, en vertu de lettres-patentes données par Philippe le Bel, en 1286.

La seigneurie de Vaux appartenait, en 1534, à un sieur de Gauville ; un peu plus tard, en 1571, elle était passée dans les mains des Montmorency, seigneurs de Dangu, qui la cédèrent à Tristan de Rostaing, en 1579.

Claude de Rouvroy, duc de Saint-Simon, fut seigneur de Vaux en 1633 ; ce fut lui qui fit démolir l'ancien château, très-maltraité en 1590 par les troupes du duc de Mayenne, et qui en fit édifier un nouveau d'après les plans de François Mansard.

Vaux appartenait, en 1792, à Charles de Mainneville, seigneur de Banthelu, qui émigra au moment de la Terreur.

La propriété de Vaux fut vendue comme bien national et achetée par Benjamin Constant, qui la revendit presque immédiatement.

Le Mont de l'Aigle est une ferme bâtie sur l'emplacement présumé du camp de César, qui lui aurait donné son nom.

Quant à Moiscourt, c'est un moulin qui remonte au moyen âge, et qui dépendait du fief de Cantiers.

Gisors est la patrie de Guersan (Jules), avocat, sénéchal de Rennes, auteur d'une tragédie de Penthée, d'un poëme intitulé les Porte-Cornes et de divers autres ouvrages ; il mourut en 1584 ;

D'Etienne Fourmont et Michel Fourmont, professeurs, l'un d'arabe et l'autre de syriaque, au Collége royal, tous deux membres de l'Académie des inscriptions et belles-lettres ;

De Louis-Nicolas Ingoult, auteur de voyages et de poésies ; de Langlois, littérateur et musicien distingué, qui, tous deux, vivaient au commencement du dix-huitième siècle ;

Du général de Blanmont, qui fit toutes les campagnes de l'Empire et revint mourir dans son pays natal ;

Et, enfin, de beaucoup d'autres personnes illustres que nous ne pouvons nommer toutes.

La ville de Gisors marchait, autrefois, à la tête du progrès. Au commencement du dix-huitième siècle, l'administration consacrait le fermage de douze arpents de terre et marais à l'éclairage des rues, faisait paver la ville, faisait balayer, nettoyer les rues, dont elle affermait les boues, achetait une pompe à incendie, et, en un mot, pourvoyait avec intelligence à tous les services civils, judiciaires et autres.

Aussi, en 1790, la population de notre cité était-elle de plus de 4 000 habitants ; à seize ans de là, en 1806, alors que le tribunal civil était déjà, depuis plusieurs années, transféré à Andelys, la population avait diminué de plus de 900 habitants ; elle était de 3 624 individus en 1841 ; enfin, elle n'est aujourd'hui que de 3 531.

Le nombre des maisons était, en 1846, de 765 ; il n'est plus, en 1866, que de 703 ; mais, par contre, au lieu d'avoir 20 toitures en chaume, nous n'en n'avons plus aujourd'hui que 6.

Le rapport pour cent de chaque groupe des deux sexes avec le chiffre de la population, est :

Enfants et célibataires... 42.59 pour 100 Hommes et femmes mariés 48.37 - Veufs et veuves 9.04 - 100 »

La population par âge se compose de :

21.67 pour 100 d'individus au-dessous de 15 ans 9 » de 15 à 20 ans 28.02 de 20 à 40 ans 23.61 de 40 à 60 ans 17.70 au-dessus de 60 ans 100 »

A Gisors plus que dans les communes rurales, les décès l'emportent sur les naissances. La part proportionnelle du chef-lieu, dans l'excédant des décès sur les naissances du canton, est de 67 pour 100 ; on compte 1 naissance sur 45 habitants et 1 naissance naturelle sur 11 légitimes.

Le nombre proportionnel des mariages est moins élevé à Gisors que dans les communes rurales ; quant aux décès, ils sont annuellement de 2,67 pour 100 de la population.

Voici la situation de l'instruction dans le chef-lieu du canton :

Sexe Rapport avec Masculin Féminin la population Ne sachant ni lire ni écrire... 480 604 30.69 p. % Sachant seulement lire... 82 128 5.94 Sachant lire et écrire... 1 118 1 119 63.37 Ensemble... 1 680 1 851 100

Au premier janvier mil huit cent soixante-six, les écoles de garçons étaient fréquentés par 230 enfants dont 160 recevaient l'instruction gratuitement ; on comptait dans les écoles de filles 105 élèves gratuites et 75 payantes.

Cinq garçons et trois filles en âge de fréquenter l'école ne recevaient aucune instruction.

La ville possède, indépendamment des bâtiments des Carmélites dans lesquels sont installées l'Hôtel-de-Ville, la Justice de Paix, la gendarmerie, la prison, une pension, une école communale et la salle de spectacle, vingt-six hectares de marais et prés, d'une valeur assez importante qui ne produisent absolument rien, et des halles couvertes, construites, ainsi que nous l'avons déjà dit, en 1786.

Le bureau de bienfaisance n'a qu'un revenu bien insuffisant, mais il reçoit chaque année une subvention du conseil municipal.

La fabrique de l'église est propriétaire non-seulement du presbytère, mais encore d'une maison dans laquelle MM. les Vicaires sont logés. Il

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Gisors.

3 531 habitants, écoles et pensionnats, hospice, bureau de bienfaisance, hôtel de ville, imprimeries, librairies, industries diverses, tissage et blanchiment des toiles, tanneries, briqueteries et plâtreries, commerce et industrie très-développés, très-jolie ville.

Gisors a joué un grand rôle pendant les guerres de la France et de l'Angleterre. Placé sur les limites des deux États, sa possession fut vivement disputée par l'un et par l'autre. Dès le Xe siècle, Gisors possédait un château fort qui fut transformé en forteresse par Guillaume le Roux et entouré d'épaisses murailles par Henri Ier, roi d'Angleterre.

De 1108 à 1160 les sièges et les batailles se succèdent sous ses murs entre les Anglais et les Français, avec des alternatives de succès et de revers.

Des propositions de paix réunirent plusieurs fois Henri Ier, roi d'Angleterre, Louis le Gros et Philippe-Auguste, rois de France, sous un orme antique entre Trie el Gisors. Mais la paix ne fut point conclue et les Français abattirent le vieil orme, ou l'orme ferré, comme on l'appelait alors.

A la première entrevue, Guillaume de Tyr, légat du saint-siège, se joignit aux princes rivaux et prêcha devant eux la croisade.

Pendant la détention de Richard Cœur de Lion, Philippe-Auguste se fit livrer Gisors, et, en 1200, ce domaine fut réuni à la couronne.

Au début de la guerre de Cent ans, en 1346, Gisors fut brûlé par Édouard. Mais ce prince ne put s'emparer du château. Sous Charles VI, la ville et le château tombèrent au pouvoir des Anglais qui s'y maintinrent jusqu'en 1449, époque à laquelle le commandant de Gisors livra la place à Charles VII. Les seigneurs rebelles du temps de Louis XI s'en rendirent maîtres, mais elle ne resta entre leurs mains que quelques mois. Les ligueurs à leur tour s'en saisirent pendant les guerres de religion, et cette place ne se rendit à Henri IV qu'en 1590.

Des ruines importantes, c'est tout qui reste aujourd'hui de l'antique forteresse de Gisors, dont les remparts ont été transformés en promenades publiques.

On examine encore avec un puissant intérêt les chemins de ronde, les poternes, les fossés, les casemates, et en particulier une tour bien conservée qui est connue sous le nom de Tour du prisonnier. Le nom et la vie du personnage que Louis XI y tint enfermé pendant quatre ans seraient demeurés un mystère pour tout le monde, si M. Blangis, inspecteur primaire à Pont-Audemer, n'était parvenu à démontrer d'une manière à peu près certaine, que ce prisonnier devait être un homme de confiance de Marie de Bourgogne, du nom de Wolfgang de Poulhain. Quant à nous, les pièces historiques que M. Blangis à produites dans son Essai sur le prisonnier de Gisors, nous ont paru convaincantes.

Nous extrayons de ce travail le passage suivant :

« Que pouvait donc faire pendant les ennuis de cette longue détention, notre malheureux captif que les souvenirs lugubres de Tristan devaient parfois préoccuper ? Que pouvait faire celui que depuis longtemps les noëls, les légendes, les romans mêmes appellent d'inspiration le beau prisonnier de Gisors ?

Hélas ! Il nous le dit encore aujourd'hui dans ces intéressants bas-reliefs que l'œil contemple toujours avec une curiosité inquiète. Longs chefs-d'œuvre de patience et de douleur, respectés par quatre siècles, et où respire encore je ne sais quel parfum de chevalerie, de douce espérance et de pieuse résignation.

La tradition locale dit qu'il les traca à l'aide d'un clou sur les pierres de son cachot, là où le soleil de nos belles vallées descendait le visiter, en glissant à travers d'étroites et profondes meurtrières. Ce sont des scènes de la Passion, des gibets, des châteaux forts, des joutes de chevaliers, des danses, l'image de la mort et autres emblèmes, etc., enfin, son nom, avec une invocation latine à la mère de Dieu. »

« O mater dei memento » (Poulain).

L'église de Gisors est l'un des beaux morceaux d'architecture du département, elle est vaste comme une cathédrale et le vaisseau, formé de cinq nets, est unique en Normandie.

Sa construction appartient au XIIIe, au XVe et au XVIe siècles. Le portail principal et le latéral du nord sont de toute beauté.

La ville possède en outre une maison de bois de la renaissance. Les restes d'une léproserie avec porte romane, et plusieurs couvents transformés en établissements publics.

Gisors a été le siège de l'un des sept grands bailliages de Normandie et le chef-lieu d'une élection.